L’ambre en peinture : Recettes d’atelier, Mythes et Réalités

L’ambre en peinture : recettes d’atelier, mythes et réalités de Van Eyck à Van Dyck

1) Nature & composition

L’ambre est une résine fossile (principalement baltique) composée de polymères terpéniques et contenant souvent de l’acide succinique. Insoluble à froid, il devient utilisable après fusion contrôlée et incorporation à une huile siccative (lin, noix, pavot) ou à une essence (térébenthine). Cette préparation donne des vernis/médiums très durs, transparents et légèrement dorés, réputés pour la profondeur optique des glacis.

2) Ce que disent les sources d’époque

Le manuscrit de De Mayerne (British Library, Sloane 2052, 1620-1646) consigne de nombreuses recettes de vernis et médiums (dont des vernis à l’ambre et des vernis « à instruments »), circulant entre ateliers flamands, italiens et anglais. C’est l’une des grandes « bibles » techniques de la première modernité.
Des traductions modernes (Merrifield, Eastlake, éditions et études récentes) en ont diffusé le contenu.

Important : à l’époque, le terme « ambre » n’est pas toujours employé avec notre précision scientifique, et certains « vernis d’ambre » du commerce des siècles suivants se révéleront être… copal ou résines de conifères. Prudence donc dans les attributions.

3) Fabrication traditionnelle : principes de base

  1. Pré-cuisson de l’huile (facultatif mais courant) : huile de lin chauffée (« bodying ») pour la rendre plus visqueuse et siccative.
  2. Fusion de l’ambre : porté à haute température jusqu’à ramollissement/filage (« épreuve du fil »), sans flamme nue (fumées irritantes et risque d’inflammation).
  3. Mariage ambre-huile ou ambre-essence : l’ambre fondu est versé dans l’huile chaude (ou dilué à l’essence), puis cuit jusqu’à homogénéité.
  4. Détente avec un peu d’essence de térébenthine (optionnelle) pour l’usinabilité, puis filtration et maturation.
    Ces gestes sont décrits (avec variantes) dans De Mayerne et la littérature technique ultérieure.

 

4) Trois recettes historiques (adaptées pour un atelier moderne)

Sécurité : travail en extérieur ou hotte ventilée, sans flamme, plaques électriques stables, thermomètre à sonde, masque A2P3, lunettes, gants anti-chaleur, extincteur classe B. Ne jamais fermer un récipient chaud contenant solvants/essences.

  1. Vernis « ambre-huile » (d’après De Mayerne, variante d’atelier)
  • Ingrédients : ambre concassé (5–10 parts), huile de lin clarifiée ou pré-bodifiée (10 parts).
  • Procédé (résumé sécurisé) :
    1. Porter l’huile à ~180–200 °C (contrôle strict) jusqu’à légère viscosité.
    2. Fusionner l’ambre dans un pot séparé à température plus élevée (l’ambre ne « fond » pas comme une cire : on recherche l’état filant).
    3. Verser en filet l’ambre dans l’huile (mouvements lents, protection intégrale).
    4. Cuire jusqu’à filage net (test avec spatule), puis couper la chauffe.
    5. À tiède, ajuster la fluidité avec un peu d’essence de térébenthine.
    6. Filtrer chaud à travers toile de lin.
  • Profil : film dur, brillant, teinte dorée, idéal pour glacis chauds et vernis final très résistant.
  1. Vernis « ambre-essence » (vernis léger)
  • Ingrédients : ambre (1 part fondue), essence de térébenthine balsamique (3–4 parts).
  • Procédé : dissoudre à chaud doux l’ambre pré-fondu dans la térébenthine, sans dépasser le point d’éclair, filtrer.
  • Usage : vernis mince ou médium d’assouplissement des couches résineuses trop dures. Séchage plus lent, brillance moins « verre » que l’ambre-huile.
  • Note historique : De Mayerne documente de nombreux vernis de résines en essence (mastic, sandaraque, térébenthine de Venise) ; l’ambre-essence est une variante tardive/atelier. (MediaWiki)
  1. « Gel flamand » (médium de glacis thixotrope, tradition XVIIe)
  • Ingrédients : huile noire/huile cuite plombée (1 part) + vernis de mastic en essence (1 part).
  • Procédé : mélange à tiède jusqu’à texture gel.
  • Effet : glacis qui ne coulent pas, empâtements lustrés, transitions fondues.
  • Attribution : ce type de médium  est documenté dans des manuscrits anglais du XVIIe et rattaché aux pratiques de rubens/van dyck ; il n’emploie pas d’ambre, mais éclaire le contexte technique des glacis profonds de cette époque.

À propos des “vernis d’ambre” du commerce historiques : beaucoup, surtout XIXe-début XXe, contenaient en réalité copal ou des résines de conifères ; de vraies dissolutions d’ambre étaient rares et délicates.

A noter  que  les  recherches  ont été  aussi  portées un moyen  de dissoudre  sans pyrolyse à froid. Ce fut  une quête du GRAAL pour de nombreux  chimistes. (Note François Perego)

 

5) Usages picturaux : où l’ambre excelle

  • Glacis : couches minces, pigments transparents (terre d’ombre, laques, bruns), effet de profondeur chaude.
  • Vernis final : film durable et saturant (attention aux brillances hétérogènes à l’ancienne : l’ambre durcit fortement).
  • Médiums : petites additions (5–15 %) pour resserrer le film, augmenter l’éclat, accélérer la prise des couches grasses.
  • Supports apparentés : vernis d’instruments (luths/violons) et cuirs dorés : tradition parallèle documentée dans De Mayerne, utile pour comprendre les profils de brillance/teinte.

 

6) Van Eyck : ce que disent les analyses (et ce que l’on ne peut pas affirmer)

  • Mythe : Van Eyck aurait « inventé l’huile » et gardé un “vernis secret à l’ambre”.
  • État des connaissances : les examens chimiques modernes (GC-MS, FTIR) sur des œuvres de Van Eyck montrent surtout des huiles siccatives (souvent lin chauffé) et, dans certains cas, des résines de conifères (colophane/sandaraque). Aucune preuve robuste d’usage systématique d’ambre dans ses liants picturaux. Les effets optiques tiennent surtout à l’ingénierie des couches (préparations, glacis, huiles modifiées), plus qu’à un seul ingrédient « magique ».

7) Van Dyck : médiums, huiles et vernis

  • Les analyses de la National Gallery sur un corpus de Van Dyck indiquent l’emploi majoritaire d’huile de lin (et parfois huile de noix), souvent chauffées ou bodifiées pour compenser des pigments lents à sécher ; cela n’implique pas nécessairement l’ambre.
  • Des recettes d’atelier attribuées à Van Dyck (et Kneller) décrivent des gels thixotropes obtenus par mélange huile cuite + vernis de mastic (type « italian/megilp »), très utiles pour ses glacis profonds. Là encore, pas d’ambre obligatoire, même si des vernis d’ambre circulaient parallèlement dans les milieux d’artisans et de lutherie.

8) Conseils pratiques (version contemporaine, compatibles atelier)

  • Si tu veux l’effet “ambre” sans fusion dangereuse :
    • Choisis un alkyde clair + stand oil (85/15 à 70/30) : brillance, dureté et séchage rapide.
    • Ou stand oil + petite fraction (5–10 %) d’un vernis de résine dure (copal véritable si tu en trouves, sinon damar de qualité) : film plus serré et chaud.
    • Réserve les vrais vernis d’ambre aux utilisateurs expérimentés et en quantités minimes (médium de glacis plutôt que vernis final).
  • Application : glacis très fins, essuyés si besoin ; évite l’empâtement résineux (risque de craquelures).
  • Restauration : un vernis ambre très dur est difficile à ôter ; privilégie des vernis réversibles pour les couches finales muséales (résines modernes solubles).

 

 

10) Bibliographie & sources

  • De Mayerne, Sloane MS 2052 — manuscrit technique majeur (British Library ; billet & notice). (British Library Blogs)
  • National Gallery, Technical Bulletin : analyses du médium de Van Dyck (GC-MS, FTIR). (La National Gallery)
  • Getty / Merrifield : traductions de traités (vernis historiques, résines, procédés). (Getty, aata.getty.edu)
  • AIC Conservation Wiki : synthèse critique sur les vernis traditionnels, ambiguïtés « ambre/copale ». (MediaWiki)
  • Études UvA (Amsterdam) : prudence sur l’interprétation des résines dans les analyses ; réflexion sur la complexité des systèmes eyckiens. (Pure)
  • Dictionnaire des matériaux du peintre ( François Perego ) édition Belin

Vous pouvez lire aussi  un article que j’avais ecrit en 2015

Ambre dissous : Les petits secrets de Blockx – Nabismag

Mais  il semblerait  que la maison Blockx depuis  son rachat  ne  distribue  plus ce produit

Conclusion

L’ambre n’est ni un mythe ni une panacée : c’est un outil parmi d’autres, à manier avec science technique, parcimonie et prudence. Van Eyck n’a pas « peint à l’ambre » au sens strict : sa magie tient à la conception des couches et aux huiles préparées.
Van Dyck, maître du glacis rapide et profond, exploite surtout huiles chauffées et gels résineux ; les vernis d’ambre appartiennent bien au paysage matériel du XVIIᵉ siècle, mais leur rôle pictural réel doit être nuancé.

 

 

 

 

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